Jerome Duplessis
par Lilou
pour le site 69 Desirs
Depuis quand et comment sont nées vos passions pour le bondage et le latex ?
Comme pour beaucoup de personnes, c’est une longue histoire qui remonte à l’enfance. Né au début des années 70, berçé par la télévision, mon attention s’est portée sur certaines situations et héroïnes de fiction. J’étais trop jeune pour connaître et apprécier le personnage d’Emma Peel (chapeau melon & bottes de cuir) mais j’aimais beaucoup la combinaison moulante de l’actrice Erin Gray dans les aventures de “Buck Rogers”. Cette tenue brillante inspirée de la vague disco est probablement à l’origine de mon goût pour les matières comme le latex et le vinyle. Beaucoup de ces histoires comportaient une scène mettant l’accent sur la notion de contrainte. La représentation de la demoiselle en détresse s’est donc naturellement imprimée dans ma mémoire. En grandissant, mon attirance pour cette imagerie s’est développée : après une phase de découverte de la sexualité (favorisée par la presse érotique) j’ai commencé à passer beaucoup de temps sur l’ancêtre d’internet, le fameux minitel rose. Un outil formidable pour griller les étapes : j’ai rencontré ma première partenaire, une prof’ de quarante ans dont le souvenir mitigé m’a détourné de la sexualité charnelle et un peu trop basique à mon goût. Dès l’âge de 16 ans, je me suis intéressé au sadomasochisme : sollicité par l’affichage publicitaire de l’époque, je me suis retrouvé à dialoguer avec des personnes ayant la même attirance pour le SM. Même si l’univers semblait un peu caricatural, je ressentais une envie de découvrir ces jeux mêlant une approche cérébrale et pourtant très physique. J’ai cessé d’acheter les magazines grand-public pour des publications spécialisées. Dès l’âge de la majorité atteint, j’ai commencé à fréquenter les boutiques à la recherche de livres pouvant satisfaire mon envie d’histoire et de photographie axées sur la domination et le fétichisme. Avec l’apparition d’internet, la consommation d’image a été révolutionnée : tout est devenu accessible et cela m’a permis d’explorer en détails mon goût pour le bondage et le latex en particulier.
Existe-t-il une corrélation entre ces deux pratiques ?
C’est une question sur laquelle pourraient débattre les adeptes du BDSM et les amoureux du fétichisme. Certains acceptent l’idée d’un lien entre les deux sphères, d’autres le rejettent. Sur un plan personnel, les deux sont étroitement liées en raison de la manière dont j’ai construit mon univers fantasmatique. Je suis adepte d’une vision esthétisante de ces jeux : la beauté d’une femme est sublimée par ses vêtements … pourquoi se priver de ce plaisir supplémentaire ? Si j’imagine une femme fatale, une tenue renvoyant une image forte me parait appropriée. Pour une demoiselle en détresse, le recours à la contrainte du latex offre aussi de belles perspectives. Il n’existe pas une seule manière de vivre son goût pour le sadomasochisme et le fétichisme : je crois que nous possédons tous notre propre sensibilité et des envies distinctes. L’essentiel est de s’en nourrir afin de créer seul, ou avec l’autre, sa bulle de plaisir dans laquelle trouver refuge. L’intensité de ces pratiques sont un excellent moyen de s’évader.
Comment se déroulent vos séances de photos bondage et latex avec vos modèles ?
C’est assez difficile de répondre simplement à cette question. En quatorze ans, j’ai eu le temps d’évoluer : le photographe débutant avait forcément une méthodologie différente de celui que je suis aujourd’hui. Au début, il n’était pas aisé de trouver des modèles et je n’étais pas plus à l’aise qu’elles ne pouvaient l’être. L’approche était donc très progressive, avec une certaine pédagogie et beaucoup de non-dits : chaque modèle se présente devant un photographe pour des raisons qui lui sont propres. Avec le temps, on arrive parfois à tisser un lien qui s’éloigne du superficiel pour toucher au personnel. Photographier une femme qui accepte de se dévoiler devant l’objectif, c’est une chose. Attacher cette dernière alors qu’elle est nue ou légèrement vêtue, c’est encore plus fort. La confiance est primordiale mais il existe de multiples paramètres. Une séance photo demeure un moment dont les étapes sont identiques : la rencontre, le maquillage, le temps de la pose, la découverte des clichés. Pourtant, aucune séance ne ressemble à une autre, en fonction des personnalités, de l’état d’esprit dans lequel elles se trouvent à l’instant T, des thèmes abordés, de la manière dont l’alchimie se fait et se défait : la photographie est une aventure humaine, avec tout ce que cela comporte. J’aime résoudre cette équation compliquée : parfois, on produit un moment dont l’un et l’autre se souviendra longtemps, d’autre fois, le résultat n’est pas aussi intense qu’espéré. Les gens sont loin d’imaginer tout ce qui existe derrière la collaboration entre le photographe et son modèle : c’est pour essayer de souligner cette complexité que j’ai travaillé sur le roman “photo de charme” … aujourd’hui, on oublie trop souvent que derrière l’image d’une fille sur son écran, il existe une personne avec son passé, ses envies, ses contradictions, et les conséquences de la séance photo qui se retrouve diffusée sur internet.
Depuis un certain temps vos photos se concentrent sur votre compagne Faustine, je suppose que les séances sont différentes … vous nous en parlez ?
Je l’ai rencontrée en 2011 : à l’époque, déjà, j’avais diminué le rythme de mes séances pour différentes raisons. Il fut un temps où je photographiais et j’attachais deux ou trois fois par semaine. Après plusieurs années à cette cadence, j’ai commencé à ressentir de la lassitude : la qualité de mon travail est étroitement lié à mon modèle, surtout pour le bondage. Plus on connaît l’autre, plus on est susceptible d’aller loin dans la difficulté, sur un plan esthétique mais aussi physique. J’ai eu la chance de rencontrer plusieurs jeunes femmes qui m’ont permis de réaliser mes plus belles séances … malheureusement, pour chacune d’elles, la parenthèse se referme un jour et elles reprennent le cours d’une vie plus classique, moins exposée aussi. L’une après l’autre, elles m’ont inspiré à leur manière : un jour arrive où l’énergie de recommencer n’est plus là. J’ai commencé cette aventure en 2000 et je la poursuis depuis toujours sur le même mode de fonctionnement : à chaque époque correspond sa muse et j’ai le sentiment d’avoir eu beaucoup de chance. Cette richesse dans l’échange avec ces modèles, je n’ai pas envie de l’altérer en reproduisant sans cesse le même schéma. Il correspondait à une phase de ma vie, celle où je me consacrais intégralement à ma vie de photographe. Avec l’expérience acquise au cours de ces années, j’ai lentement évolué jusqu’au moment où j’ai rencontré Faustine. Dès lors, ma vision des choses s’est considérablement enrichie. Faustine est non seulement la compagne idéale qui m’accompagne au quotidien, elle est aussi celle me permet d’explorer mes fantasmes sans aucune limite. Si j’ai longuement évoqué les modèles que j’ai photographiées au cours de ces années, c’est pour bien insister sur la différence fondamentale qui existe entre un modèle et la femme que vous aimez. Lors de mes séances photos, j’ai exploré beaucoup de ces fantasmes mais il manquait, forcément, quelque chose. Avec Faustine, nous avons revisité tous ces jeux en les transposant dans une autre dimension où l’intensité est bien plus grande. Nous avons réalisé quelques séances photos seulement : l’état d’esprit n’a rien à voir avec celui qui peut être le mien avec un modèle. Dans ce cas, la notion de jeu prédomine et si nous l’avons fait, c’était pour le plaisir de partager un peu de notre complicité devant l’objectif. La plupart du temps, nous jouons ensemble sans prendre la moindre photo. Aujourd’hui, lorsque j’organise une séance avec un modèle, je m’emploie à faire participer Faustine. C’est ainsi que je vois l’évolution de mon travail en tant que photographe : après avoir mené une aventure solitaire en partageant les envies de certains modèles, je me vois plutôt retrouver le plaisir d’être derrière l’objectif avec la complicité de ma compagne. Nous en avons fait l’expérience l’année dernière et c’était très agréable. Je suis convaincu que ce mode de fonctionnement peut nous permettre d’explorer de nouvelles situations … même si il n’est pas toujours simple de trouver le temps nécessaire avec les contraintes de la vie quotidienne !
Quelle sont les qualités indispensables pour se lancer dans le bondage ?
En tant qu’attacheur ? Il faut être patient et persévérant pour apprendre à jouer avec ses cordes. J’ai appris seul, à une époque où le bondage était peu répandu en France. Avec de la réflexion et un peu d’observation, on peut aisément se débrouiller sans prendre de cours : si vous voulez gagner du temps, demandez conseil auprès de ceux qui pratiquent déjà. Mais un seul et unique cours suffit pour comprendre les gestes de base. Le reste, ce n’est que de la pratique. Bien sûr, un peu de psychologie est essentielle pour répondre aux attentes de votre partenaire et lui éviter tout désagrément. En tant que modèle ? Il faut être résistante et sportive pour appréhender le bondage sous sa forme la plus complète. Je recommande de découvrir cette pratique avec quelqu’un ayant de l’expérience pour limiter les risques. On ne le répète jamais assez : soyez prudente et pensez bien aux conséquences de vos actes. Si vous aimez dépassez vos limites, le bondage est fait pour vous. La motivation est primordiale et la pratique du bondage n’est pas recommandée à celles et ceux qui aiment le confort. Même si les jeux de cordes sont très esthétiques, la notion de contrainte est étroitement liée au bondage.
Plus largement maintenant : quand le BDSM devient à la mode, quels conseils pouvez vous donner aux dominants et soumis en herbe ?
Il est essentiel de se documenter un minimum en lisant les ouvrages de référence. Histoire d’O demeure une source incontournable : il faut prendre le temps de comprendre les leviers psychologiques de ces jeux avant de se lancer. Réfléchissez aux conséquences de vos actes et de vos demandes. Savoir se montrer raisonnable me semble important : la progression fait partie du plaisir, ce n’est pas une course de vitesse. L’essentiel demeure le plaisir. Le sien et celui de l’autre. Communiquer avec votre partenaire est également primordial. Avec internet, il est possible de rencontrer la bonne personne mais prudence … ne vous précipitez pas !
Restons sur cette mode, comment trouver la bonne information et éviter de tomber sur des sites ou des gens qui ont la prétention de pratiquer le BDSM alors que nous voyons en photo la soumise se mettre seule des pinces à seins, sans contrainte ?
Ce phénomène de mode est néfaste à la sphère BDSM et ce, depuis plusieurs années. Avant, il n’existait aucune garantie, aujourd’hui, c’est encore pire. Mon conseil ? Ne perdez jamais votre esprit critique : il existe beaucoup de gens qui pratiquent des jeux sans en avoir compris l’esprit. C’est la même chose avec la mode du shibari (bondage traditionnel japonais) : bon nombre des pratiquants s’inventent une expérience qu’ils sont loin de posséder. Sans scrupule, avide de reconnaissance, ils n’hésitent pas à prétendre attacher depuis dix ans … en réalité, ils prenaient leur premier cours l’année précédente. En un mot comme en cent, il n’existe pas de vérité suprême : la bonne voie est celle qui correspond à vos attentes, fuyez les beaux-parleurs qui emploient des mots compliqués pour aborder une thématique aussi légère que la recherche du plaisir. Ce sont souvent ceux qui parlent beaucoup qui en font le moins.
Vous vous êtes récemment lancé dans l’édition, voulez vous nous parler de cette activité ?
Je reviens en fait à mes premières amours : avant cette période consacrée à la photographie, je travaillais dans le domaine de l’édition institutionnelle. J’ai une formation littéraire et j’ai écrit mon premier roman lorsque j’étais encore au collège. Il m’est plaisant de raconter une histoire en essayant de la mettre en scène, c’est d’ailleurs ce que je faisais à travers l’image. Seulement, avant la révolution numérique, éditer un livre se heurtait aux contraintes de la publication papier. Le coût était important et constituait une barrière à la liberté de créer. Aujourd’hui, internet nous offre la possibilité de diffuser ses écrits à travers des plateformes comme le Kindle d’Amazon. Cela rend le processus d’édition beaucoup plus accessible : j’ai donc choisi de publier des écrits destinés dont “Son Esclave” et “Perversion” qui sont deux romans consacrés aux relations SM. Cet été, j’ai travaillé sur cette fiction abordant le cheminement personnel d’un modèle photo. Par le biais de ces textes, j’essaie d’apporter quelques réponses aux personnes en quête d’en apprendre plus sur cet univers et leurs propres envies.
Maintenant que nous vous connaissons mieux pouvez vous vous définir en quelques mots ?
Je suis un éternel insatisfait qui aime partager sa passion et sa vision des choses. Cela est parfois un peu long, comme les réponses à cette interview. Vous êtes bien placée pour savoir que je suis bavard, notre première conversation ayant duré une bonne partie de l’après-midi. A mes yeux, l’échange est primordial et c’est toujours avec cette même envie que j’essaie d’être en relation avec l’autre.
Il y-a-t il une question que vous auriez aimé que je vous pose ? Si oui pouvez vous y répondre ?
Je crois qu’une autre question aurait été de trop pour celles et ceux qui auront le courage de lire mes réponses. Je félicite et remercie la personne qui aura eu la patience d’arriver jusqu’à cette conclusion. Mais n’hésitez pas, si vous avez une question ou si vous désirez en savoir plus sur mon travail, vous pouvez me contacter via mon blog … j’en profite pour préciser que je suis à la recherche d’une partenaire pour réaliser une séance photo en compagnie de Faustine. Merci de m’avoir sollicité pour cette interview : il est toujours agréable de voir que des personnes simples et motivées sont encore présentes sur le web pour diffuser une information de qualité.