Jerome Duplessis
par Stéphane Rose
pour le site Madame Figaro
Quel est votre public ? Plutôt des adeptes du SM ou des “monsieur et madame tout le monde” en quête de dévergondage ?
Lorsque j’ai commencé mon activité de photographe spécialisé dans l’univers fétichiste, on voyait essentiellement un seul type de public s’intéresser au bondage traditionnel japonais. Mais, en plus de dix ans, j’ai constaté une évolution radicale de cette tendance. Aujourd’hui, on peut considérer que le shibari attire l’attention d’un public majoritairement déconnecté du milieu SM, des personnes sensibles à la sensualité et à l’esthétisme d’une pratique hors-norme en provenance du Japon. Ainsi, la pratique du shibari sort de l’ombre en France après avoir été introduite par une poignée de passionnés dont je fais partie. Trouver des partenaires à l’aube des années 2000 était très compliqué : aujourd’hui, je rencontre régulièrement des jeunes femmes qui sont fascinées par la beauté des cordes, imprégnées par ces images d’un corps suspendu, explorant de nouvelles sensations et recherchant leurs propres limites. L’esthétisation du shibari et l’absence de toute vulgarité sont deux raisons majeures créant un climat propice à la découverte pour un panel très varié d’individus.
Quelle est l’ambiance dans vos cours ?
La Shibari School se veut un lieu de partage et de convivialité, aussi, nos ateliers sont animés par l’envie de passer un agréable moment en aidant celles et ceux qui le désirent à apprendre ou améliorer certaines techniques. La parole tient une part importante, ne serait-ce que pour éviter de sombrer dans les clichés. Beaucoup de personnes réticentes à la pratique du Shibari pourraient changer d’avis en voyant une séance : certains n’aiment pas l’image d’une femme attachée, souvent figée et orientée par le medium photographique, pourtant, la réalité est tout autre. Voir une démonstration ou suivre un cours permet de découvrir l’envers du décor, ce qu’une image ne peut montrer … l’humanité d’une telle pratique, la liberté de choix dont dispose la personne attachée, son exploration personnelle qui s’achève presque toujours sur un sourire et l’envie de recommencer. L’ambiance est donc humaine, on parle, on plaisante, on attache … même si l’on doit faire preuve de sérieux pour apprendre et rester attentif à la sécurité de celui ou celle qui est attaché(e).
Accordez-vous de l’importance aux traditions millénaires du shibari et les transmettez dans vos cours, ou est-ce inutile pour ce que vous enseignez ?
Si l’on souhaite s’imprégner de la tradition, il existe de très bon ouvrages destinés à se documenter. Pour ma part, je partage uniquement mon goût pour la beauté du shibari : le travail des cordes, le partage avec la personne attachée. L’esprit de la Shibari School se veut dénué de toute prétention : personne ne peut prétendre détenir les secrets d’une tradition aussi codifiée sans l’avoir étudiée, vécue et pénétrée pendant des années en vivant au Japon. Comme je suis loin d’avoir l’expérience nécessaire, il est hors de propos pour moi de me servir de cette tradition comme d’un emballage destiné à me mettre en scène. Je préfère la simplicité, plus en rapport avec ma personnalité. Une chose est certaine, l’histoire du bondage traditionnel japonais puise sa source dans la torture … nous sommes très éloignés de cette notion, si la corde est une contrainte, elle permet de libérer son esprit et d’y trouver un certain plaisir, qu’il soit physique ou cérébral.
Faites vous la nuance entre bondage et shibari, ou selon vous, cela désigne la même chose et c’est juste une question de vocabulaire ?
Oui, la distinction est nécessaire : si le shibari est un type de bondage, les deux termes ne représentent pas la même chose. Si l’on regarde une photo de shibari, on peut utiliser le mot bondage pour la désigner sans faire un contre-sens. Par contre, si l’on regarde une photo d’une personne attachée avec des sangles en cuir ou du ruban adhésif, on parle bien de bondage mais en aucun cas de shibari. L’exemple est simple mais il permet de résumer pourquoi l’emploi du terme shibari s’applique généralement à un travail de cordes complexe, respectant certaines règles (cordes naturelles, figures et techniques) et se rapprochant de l’esprit originel de l’art de la contrainte … ainsi, pour les puristes, un bondage très travaillé ne sera jamais considéré comme du shibari si la corde est simplement décorative.
Certains puristes du milieu SM critiquent la démocratisation de ses pratiques. En tant qu’artiste qui oeuvre pour leur ouverture au grand public, qu’avez-vous à leur répondre ?
La démocratisation est une chance formidable de découvrir cette pratique aux multiples possibilités. Je suis heureux d’assister à cette évolution même si j’apporte un bémol : le shibari n’est pas sans risque et il faut veiller à respecter certaines règles. Beaucoup de personnes prétendent détenir un savoir que l’on met des années à acquérir : le seul risque de la démocratisation est de voir émerger une image dénaturée du shibari, une exploitation maladroite qui ne respecte pas une tradition dont on doit conserver la beauté, la complexité et même l’excellence. Tant que l’on respecte les codes esthétiques et les règles de sécurité, cette démocratisation du shibari continuera d’être positive.